TIERCE BIBLIO  I  ERIC CALIGARIS, ART CONTEMPORAIN, RECHERCHE
à propos de ce qu'ils/elles ont vu, perçu, cru, lu ou entendu




(Pour Eric Caligaris, Janvier 2011)

D'UN OS, FAIRE UN TOTEM.

« La guerre des images est là. Les images sont partout, chaque image engendre mille images, elles prolifèrent, elles implorent les regards. C’est le grave problème des images : elles veulent être vues, elles cherchent à harponner, elles appellent, elles séduisent. On en connaît qui supplient, parfois.

Le blanc agit sur notre âme comme un grand silence, absolu pour nous, écrivait Vassily Kandinsky(1). Le blanc serait le remède aux images ? Ou vaut-il mieux leur livrer frontalement bataille : les raturer, les biffer, les pousser au râle. Les combiner également, les faire être ce qu’elles ne sont pas. Rajouter de l’ombre, de l’épaisseur. Rajouter de l’inquiétude.

D’une boîte proliférante, poser la question de ce qu’elle peut bien contenir.

Soulever les images, regarder en dessous. S’en tenir toujours à cette discipline stricte. Se dire que l’on n’en finira jamais de découvrir des continents dans l'opacité des failles, des pelades, des rouilles, des fissures et des écorchures. L’infra-visible a la grande beauté du hasard.

Les maîtres de l’art nous ont enseigné de tout temps qu’il n’était qu’un moyen d’introduire de la lumière dans une toile : c’est de commencer par y mettre des ombres, écrit Jean Paulhan. Se demander alors ce qu’il advient lorsque l’on supprime la toile pour garder seulement l’ombre.

Petit garçon, on regardait les nœuds du bois, les craquelures du plâtre, les irrégularités des pierres, et c’étaient autant de monstruosités ou de divinités qui apparaissaient lentement. Une infusion d’image. Impossible de revoir la vieille étagère en pin de notre chambre d’enfance sans que – tout de suite – une gargouille grimaçante nous saute à la gueule.

Se dire que l’étrangeté absolue, l’exotisme inquiétant, sont déjà sous nos yeux, mais qu’il leur manque un petit quelque chose pour apparaître : une lenteur, une vision oblique, une diffraction particulière de la lumière.

Le sommeil de la raison engendre des monstres, titrait Goya qui en connaissait long sur les monstres. Une pause un peu lente, une lumière diffuse, un clignement d’œil, une pause trop longue, un brusque retour, et c’est autant de monstres qui naissent. Le monstre, celui que l’on montre avec effarement.

Rien de plus terrible que d’imaginer les lieux hors de la présence des hommes. La vie secrète des choses. L’intérieur d’un ballot soigneusement ficelé.

Des traces, des scarifications à la surface, et le grand mystère intact de ce qui demeure dedans. Comme les fossiles d’une cérémonie à laquelle on ne comprendra rien, parce que l’on ne sait pas voir, parce que l’on n’a pas été initié.

L’envie d’écrire un récit où deux civilisations, brusquement face à face, n’arriveraient pas à communiquer. Impossible de comprendre un seul mot, un seul geste. Juste le gouffre sans fond d’une altérité indépassable.

Le fantasme, toujours, d’une langue cohérente et structurée qu’il serait impossible à quiconque d’apprendre et de parler. Une monolalie, ouverte à un unique locuteur.

Les cendres froides : un rituel a eu lieu ici, il n’en reste que des reliefs. Les déchets d’une grande magie maintenant disparue.

Au final : l’exaltation de grands frissons. Tout est là, mais tout demeure hors de la compréhension, épaissi de mystère, dans l’ombre. La chose la plus miséricordieuse en ce bas monde est l’incapacité de l’esprit humain à mettre en corrélation toutes les informations qu’il contient, écrit H.P. Lovecraft. C’est certainement ce que nous cherchons dans les œuvres d’Eric Caligaris : une preuve supplémentaire de notre incapacité, la contemplation de ruines magnifiques, l’accès à des mystères qui – toujours – nous échapperont. »